Il m'arrive de me promener dans le parc sans y photographier personne sinon les bernaches qui vont et viennent d'une rive à l'autre du lac. En s'y égarant suffisamment tôt, quand le bourdonnement toujours trop proche des voitures est encore invisible en bruit, on ne croisera que quelques sportifs et peut-être un couple d'amoureux dont on se plaira à imaginer qu'ils ont passé la nuit sur leur banc à observer les reflets de lune sur l'eau.   
Que ce soit pour y finir les dernières vues d'une pellicule, pour y humer l'air quand un brouillard épais vient matelasser les feuilles mortes au pied d'un arbre, ou simplement pour y écouter Brahms puisque je suis sûr de l'y entendre, en déambulant dans le parc avec mon appareil autour du cou, je pense à Lamartine et je me récite mentalement les quelques vers que l'école primaire m'avait fait apprendre.   

Ô temps ! suspends ton vol, 
et vous, heures propices !   
Suspendez votre cours :   
Laissez-nous savourer les rapides délices   
Des plus beaux de nos jours !   


Et puis je déclenche.   
Souvent je croise les mêmes personnes, certains occupent leur retraite sur un banc pendant les beaux jours, se retrouvent en petit groupe. Il est toujours amusant de voir 4 grands-mères se serrer les unes contre les autres sur un banc, il est toujours plaisant de voir un enfant négocier un tour de manège supplémentaire. Le week-end et même en hiver on croisera toujours au moins un couple qui s'y forme ou balbutie. Je m'imagine que ce sont des rêveurs qui apprennent à s'aimer dans le calme, j'imagine que pour certains il faut au moins ça pour que l'amour survive à la jungle urbaine.
On croisera tout aussi fréquemment un couple agonisant, il y a toujours dans le regard d'un des protagonistes l'envie de prononcer une irrevocable sentence. Parfois ces scènes s'ouvrent sur des larmes et je pense à la dureté du bourreau. Peut-être que ce couple qui se sépare ici s'était formé sur un autre banc du même parc, peut-être qu'ils se disaient à chaque promenade qu'ils survivraient toujours a la jungle urbaine. Et puis, parfois, les larmes.

Le carnet 20x20 de 60 pages / 54 photos est disponible à la vente (26€) sur demande via la page Contact, par mail (gilles@vaugeois.fr) ou en m'envoyant un message sur Instagram
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